Publications | 31 juillet 2021

Opérativité du langage chez Maître Eckhart, par Yves Meessen

Pour Maître Eckhart (1260-1328), le rôle du théologien ou du prédicateur consiste à conduire autrui là où Dieu s'engendre lui-même en proférant son Verbe dans l'intime de l'âme. À l'instar de la démarche socratique, il déploie une activité maïeutique. Discourir sur Dieu consiste à offrir un cadre théorique pour une théologie pratiquée. Cette radicalité théologique est une option qui est loin d'être partagée par tous ses contemporains. En effet, au début du XIVe siècle, souffle un vent de sémantisation du langage théologique. Désormais, le locuteur signifie, à savoir qu'il suscite une intellection chez son allocutaire. Il en résulte une autonomie du langage vis-à-vis de la chose à traiter. Ne choisissant pas entre Pierre Abélard et Bernard de Clairvaux, Maître Eckhart s'engage dans une voie nouvelle qui déjoue par avance la distinction entre « théologie scolastique » et « théologie monastique ». Découvrir que le Thuringien ne dit pas autre chose que les maîtres parisiens, mais qu'il se permet de traiter autrement de Dieu, nécessite une approche de son oeuvre par l'analyse des actes de langage. Cette méthode jette un regard nouveau sur l'ensemble de ses écrits latins et allemands. Mieux entendre que la mystique eckhartienne est spéculative, comme le disait Fernand Brunner, revient à découvrir combien la démonstration ne nous dispense ni de la décision ni de l'engagement. Au contraire, elle les convie comme lieu de vérifiabilité du discours. Voilà ce que Jean Ladrière a mis en lumière chez Maître Eckhart en y percevant la voie d'une nouvelle scientificité de la théologie.

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